À quoi servent les brevets ?

Origine de la législation sur les brevets

En France, la première législation sur les brevets fut initiée par la loi du 7 janvier 1791.

Le système des brevets a été initialement créé pour qu’un secret de fabrication ne disparaisse pas avec la mort de son inventeur. L’inventeur devait publier le secret de son invention en contrepartie du monopole temporaire de son exploitation (15 ans en 1791). Le brevet était donc bénéfique pour la société, tout en maintenant un avantage à l’inventeur.

Stradivarius n’a jamais révélé le secret de ses violons. Il l’a emporté dans la tombe.

Dérives à l’encontre de l’esprit original des brevets

Malheureusement, avec le temps, les brevets ont été détournés de leur objectif initial au profit de quelques intérêts particuliers.

Breveter pour bloquer toute exploitation

Certains brevets ont été déposés ou rachetés dans le but de bloquer leur exploitation. Malgré des règlements qui l’interdisent, cette pratique n’est que très rarement réprimée en raison des difficultés de mise en œuvre. C’est ainsi que des inventions fort intéressantes n’ont jamais été exploitées, car elles ont été rachetées par le concurrent potentiel. Cette dérive est un préjudice pour la société.

Brevets et capitalisation boursière: quantité versus qualité

Plus une entreprise fait de recherche, plus elle prépare son avenir ; cela augmente la confiance de ses investisseurs, et fait monter le cours des actions. Pour l’évaluer, les boursiers ont pris pour habitude de mesurer l’effectivité des recherches à l'aune du nombre des brevets déposés. La dérive consiste à déposer le plus de brevets possibles, même s’ils n’ont aucune valeur.

Non-examen des demandes de brevets

Les offices de brevets sont rétribués par les déposants de brevets. Par conséquent, leur objectif est d’en accepter le plus grand nombre au détriment d’une analyse rigoureuse et consciencieuse puisque s'ils en refusent ils perdent de l'argent. D’ailleurs, aux États-Unis, l’USPTO (United States Patent and Trademark Office) les accepte tous, en se défaussant sur le juge de la responsabilité de trancher en cas de problème. Or, les procédures de contestation de brevets sont interminables et coûtent des fortunes, même dans le cas de brevets qui n’auraient jamais dû être déposés. Seules de très grosses entreprises peuvent se le permettre.

La loterie des brevets : un jeu d’argent qui peut rapporter gros

Déposer un brevet coûte cher mais peut rapporter gros. C’est le principe de tous les jeux d’argent (loteries, casinos, machines à sous, etc.) où un gagnant touche de temps en temps un très gros lot de façon à inciter d’autres personnes à jouer. Dans ces jeux, il y a essentiellement des joueurs perdants, le véritable gagnant étant l’organisateur du jeu.

Dans le cas des brevets, les gagnants sont tout d’abord ceux qui rédigent les brevets dans un jargon technico-juridique aussi abscons que possible. Les cabinets d’avocats spécialisés qui font ce travail vont ensuite déposer leurs textes à l’USPTO et à l’OEB : ces offices se nourrissent à leur tour de ce lucratif commerce. Viennent ensuite  les avocats, qui ont tout intérêt à multiplier les procès pour augmenter leurs honoraires.

Dérive mafieuse

On parle souvent en termes de protection de la propriété industrielle. Ces conseils en brevets (ou « avocats » en propriété industrielle) vous offrent leur protection moyennant finances. Mais au fond, de qui vous protègent-ils ? La réponse est simple : d’eux et de leurs semblables, selon la technique légale qu’employait Al Capone. Si ce n’est une pratique mafieuse, qu’est-ce donc ? On a même vu aux États-Unis le même cabinet d’avocats déposer un brevet, l’attaquer et le défendre ! Toujours aux États-Unis, des cabinets d’avocats se spécialisent dans l’achat des brevets pour pouvoir faire des procès. Autant de prédateurs !

Ce qui est grave, c’est que l’on considère que 10 % du budget de la recherche américaine est actuellement détourné vers ce système de protection qui n’est rien d’autre que parasitaire.

Système pour étouffer la concurrence

De très grosses entreprises ayant de gros portefeuilles de brevets et de nombreux avocats arrivent à se neutraliser en se menaçant mutuellement : « si tu m’attaques sur ça, je t’attaque sur autre chose », et les affaires en restent là. En revanche, dans le cas d’une entreprise plus faible qui peut devenir un concurrent dangereux, le rapport de force est inégal et il suffit à la grosse entreprise d’attaquer la plus faible sur un ou plusieurs brevets, sachant que chaque procès peut coûter un million de dollars. À ce jeu, l’entreprise plus faible ne peut résister, même si elle est dans son droit, car elle sera au mieux exsangue après dix ans de procédures. Au final, plus une invention voire une innovation est intéressante, plus elle expose son inventeur à des risques juridiques. On peut parler de terrorisme juridique.

Les brevets ne favorisent pas l’innovation

Le message que font passer les juristes qui vivent du système actuel pourrait faire croire le contraire. Il n’en est rien étant donné que les brevets ne sont vraiment pas à la portée des particuliers ni même des PME, c’est-à-dire là où, très souvent, se font les vraies innovations.

Les inventions sont très souvent induites par  les précédentes et les offices de brevets mettent de 18 à 24 mois pour publier les brevets. Durant ce long délai une entreprise est soumise à son insu à un risque juridique totalement imprévisible comparable à une dangereuse bombe à retardement.

En outre, les grosses entreprises qui tentent de neutraliser leur concurrents potentiels en finançant des portefeuilles de brevets imposants, innoveraient sans doute davantage si ce type de financement était dédié à la recherche plutôt qu’à alimenter des cohortes d’avocats, des offices de brevets et d’interminables procédures juridiques.

Découvertes et fausses inventions

Dans l’immense diversité de la nature, on peut trouver des êtres vivants animaux ou végétaux et des substances extrêmement variées dont on découvre les usages parfois connus depuis la nuit des temps par des peuples anciens. Aucun brevet ne devrait être accordé sur des substances pour lesquelles les recherches d’antériorité sont impossibles par principe. De plus, il ne s’agit pas d’une invention au sens d’une création humaine mais bien d’une découverte. Lorsqu’il n’y a pas  d’invention créative, aucun brevet ne devrait être accordé.

Il faut noter que les juristes ont la fâcheuse habitude de parler de l’inventeur d’un trésor pour celui qui le découvre. Cette exception devrait être bannie car elle ne peut qu’entraîner des confusions et des arguties dans lesquelles nombre de juristes se complaisent.

Les idées ne sont pas brevetables, l’immatériel non plus

L’article 52 de la convention de Munich interdit très justement les brevets sur les logiciels. En effet, les logiciels sont des algorithmes comme les mathématiques, c’est à dire des idées. Imaginons que les idées soient brevetées : très vite nous serions soumis à des blocages inimaginables dus à des pensées brevetées. Ce serait stupide, n’est-ce pas ? Eh bien, pour les logiciels, c’est encore pire car le moindre programme fait appel à des milliers d’algorithmes écrits par autant de personnes. Accepter des brevets sur les logiciels reviendrait à entourer chaque programmeur d’une cohorte d’avocats qui essaieraient en permanence de lui éviter des ennuis judiciaires sans même être certains d’y parvenir. Seules les très grosses entreprises pourraient continuer à créer des logiciels, protégés par leurs portefeuilles de brevets qui se neutralisent comme nous l’avons vu. Ce serait donc un coup terrible porté aux petites entreprises et à l’innovation, la créativité étant essentiellement le fait de ces petites entreprises et d’individus isolés.

De la même façon, tout brevet sur l’immatériel conduirait à une situation désastreuse. Que ce soit une séquence de notes de musique, une méthode commerciale, une recette de cuisine, un style, ou toute autre idée, les brevets dans tous ces domaines tueraient toute créativité. La liberté de créer serait confisquée par un petit nombre de multinationales, recréant ainsi un nouveau type de féodalisme.

La protection des logiciels, de la littérature et de la musique est déjà très bien assurée par le droit d’auteur, plus éthique que le copyright ; il n’y a aucune raison de remettre cela en cause.

Conclusion

Le brevet ne sert plus à révéler un secret. Le système de brevets a perdu son objectif initial qui était  le bien de tous, sans léser l’inventeur. Il est devenu un système de rente pour des avocats d’affaires et un système anti-concurrentiel pour les grosses entreprises qui ne souhaitent pas voir un nouvel arrivant venir leur contester leur monopole. Ces deux entités, les avocats et leurs puissants clients, ont des moyens de pression considérables sur les États et leurs dirigeants. Ainsi arrivent-ils à détourner le système de brevets à leur profit au détriment de l’intérêt général.

Les brevets sont-ils encore utiles ? Sont-ils une incitation à la recherche ? Ils sont au contraire de plus en plus contestés. Dans le cas de l’industrie pharmaceutique où on pourrait les croire utiles, ils focalisent la recherche sur les médicaments les plus rentables. Le système des brevets est trop lourd et trop coûteux. Sa nuisance est très supérieure à son intérêt. En arrêtant de déposer de nouveaux brevets et en réduisant chaque année leur durée d’un an, il disparaîtraient dans les 10 ans en permettant d'augmenter significativement le budget de la recherche. Ainsi la reconversion des acteurs vers des activités nouvelles et plus éthiques se ferait en douceur.

Lorsque ceux qui ont pour vocation de protéger la société se comportent en prédateurs, cela doit être dénoncé. Lorsque des chiens de bergers se mettent à attaquer le troupeau, que doit-on faire ?

Un grand merci à René Mages et à Muriel Shan Sei Fan pour l'aide rédactionnelle de ce texte.

Bibliographie  :
  1. Dossier de François Pellegrini sur le site de l'ABUL: http://abul.org/-Brevets-Logiciels-.html et ses sous dossiers : Articles, Conférences et Action-PME.
  2. « Against Intellectual Monopoly » par Michele Boldrin and David K. Levine http://www.dklevine.com/general/intellectual/againstfinal.htm
  3. Logiciel : le cumulard de la propriété intellectuelle par Franck Macrez http://franckmacrez.online.fr/wp-content/uploads/DALLOZ_4.Macrez_Final.pdf
  4. Patently Absurd http://www.forbes.com/asap/2002/0624/044.html par Gary L. Reback
  5. Et si les brevets étaient nuisibles...  par Frederic Cherbonnier et Francois Salanie. http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/recherche-innovation/innovation/221139496/et-si-brevets-etaient-nuisibles
  6. Patent Troll http://fr.wikipedia.org/wiki/Patent_troll sur Wikipedia.
  7. Le problème des « patent trolls » : comment limiter la spéculation sur la propriété intellectuelle dans une économie fondée sur les connaissances ? Par Julien Pénin http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=INNO_032_0035
  8. La dangereuse spéculation autour des brevets par Catherine Bernard http://www.slate.fr/story/45223/brevets-speculation-trop
  9. Le Monde : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/06/06/la-maison-blanche-s-attaque-aux-trolls-des-brevets_3425548_651865.html La Maison Blanche s'attaque aux "trolls des brevets".
  10. Mediapart : Coup d'arrêt au brevetage des gènes humains (22 juin 2013) par Michel de Pracontal http://www.mediapart.fr/article/offert/464f823b34b7c76c15c91070967d511c
  11. Brevets et domaine public : Tesla et la voiture électrique Moins d’idées, plus de brevets !
  12. Quand la justice se moque du monde : Onze ans de procédures judiciaires http://www.inventerpasrever.com/sites/inventerpasrever.com/files/pages/10_ans_de_procedure_0.pdf
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